3.3 - Pelouses calcicoles et papillons

 

(d'après N.C.C. 1986 - The management of chalk grassland for butterflies)

Très souvent, la flore constitue le principal, voire le seul critère d'évaluation de la richesse patrimoniale et d'orientation d'un plan de gestion. On comptabilise le nombre d'espèces végétales au m2 ou les espèces remarquables (surtout orchidées). On se réfère à une équation simpliste où l'absence de pâturage induit un couvert herbacé et ligneux touffu et fermé. Dans une optique purement botanique, la gestion idéale se résume souvent à un pâturage plus ou moins important, afin de maintenir un tapis végétal herbacé ras.
Mais il serait erroné de penser que la présence d'espèce végétale suffit à maintenir les espèces animales qui s'en nourrissent. La plupart des espèces de papillons  n'utilisent leurs plantes-hôtes que si celles-ci se développent dans des conditions très particulières. De nombreuses populations ont disparu alors même que leurs plantes-hôtes se maintenaient abondantes.
Le concept de base qu'il convient plutôt d'adopter est qu'il faut gérer un biotope pour l'ensemble de la communauté biologique qui s'y développe. Il se trouve que la  gamme de structures végétales requises par les papillons reflète également les besoins des autres groupes d'invertébrés et que le principe adopté par les botanistes de maintenir la diversité floristique est également bon pour l'ensemble des invertébrés.

Les enjeux

En Angleterre, les très bons sites pour les papillons sont devenus très rares et peu de gens imaginent à quoi peut ressembler un site de pelouse idéal pour les papillons. Les vieux entomologistes se souviennent de pelouses où des nuages de papillons s'élevaient à chacun de leurs pas.
Aujourd'hui beaucoup de sites et de populations ont disparu. Ceux qui subsistent voient leur superficie diminuer et sont de plus en plus isolés. Si bien que, lorsqu'une population dispara1t, il y a peu de chance qu'elle réapparaisse, même si les habitats sont restaurés. Les recherches récentes semblent montrer que la plupart des  espèces de papillons sont strictement limitées aux sites d'éclosion. Les déplacements d'un site à un autre, même distants de quelques kilomètres, sent rares.
Par ailleurs, les papillons des pelouses calcaires ont un cycle de vie annuel, (avec parfois une deuxième, voire troisième génération, au cours de l'année). Ils ne peuvent survivre à des périodes défavorables prolongées comme le font les plantes qui, eiles, possèdent des semences entrant en dormance.
Aussi, les conditions favorables à leurs exigences doivent se répéter tous les ans sous peine de voir la population disparaître. Il en résulte que la gestion des pelouses pour les papillons doit s'imposer plus de rigueur qu'une gestion à visées uniquement botaniques.

Les exigences d'une gestion prenant en compte les papillons

Bien évidemment, la première chose à faire est de connaître les papillons présents sur le sile.
Il serait également utile de cartographier les secteurs que chaque espèce fréquente. Il faut avoir à l'esprit qu'un secteur très fleuri (où certaines espèces viendront butiner) ne coïncide pas nécessairement avec le secteur où la femelle viendra pondre ses oeufs.
Chaque espèce a des préférences ou des exigences vis-à-vis de la hauteur du couvert végétal (Cf. tableau page suivante). On notera qu'il existe une certaine marge de tolérance et qu'une espèce inféodée au gazon ras pourra supporter une végétation plus haute, si celle-ci est peu dense. Par ailleurs, si quelques espèces rares exigent un couvert bas, la plupart ont une préférence pour les communautés végétales plutôt hautes.
D'une façon générale, la meilleure époque d'intervention est celle où l'activité des insectes est relativement faible. Ainsi, la période d'octobre à mars est la période qui présente le moins d'impacts dommageables pour les 49 populations de papillons. En fait, l'automne et le début du printemps sont les meilleures périodes, car la perturbation du couvert végétal durant l'hiver, en pleine période d' "hibernation", n'est pas souhaitable. Mais il y a des exceptions; l'Argus bleu céleste se satisfait très bien d'un régime de pâturage permanent.
Si le pâturage d'été est pratiqué, il devra être léger et ne pas concerner plus de 50% du territoire occupé par une espèce donnée. Ce qui implique de· localiser et de connaître l'étendue de ces territoires.
Les papillons ont en commun avec beaucoup d'autres insectes de posséder un cycle de vie complexe dont les divers stades peuvent requérir des exigences complètement différentes. C'est votre façon de gérer la végétation toute au long de l'année qui déterminera le nombre de papillons qui voleront pendant 2 ou 3 semaines l'année suivante.
Les papillons ont besoin du nectar des fleurs comme source énergétique. Ils ont aussi besoin d'abris, de place de repos et de "perchoirs" pour les mâles.

Ces éléments de la végétation utilisés par les adultes peuvent être tota:ement différents des plantes exigées par les individus au stade chenilie. La chrysalide peut  aussi avoir des besoins particuliers en ce qui concerne la structure du couvert végétal.
La structure globale du site a également son importance. Par jour de vent, les papillons se regrouperont souvent au pied d'une pente, il l'abri d'une haie.

Dans certains cas, c'est Ja microstructure du site qui jouera un rôle. Les mâles de nombreuses espèces ont besoin de plages de terre nue. La présence de microdépressions sans végétation où la température est plus élevée qu'alentour sera bénéfique aussi bien aux adultes qu'aux stades larvaires.
Ainsi, beaucoup d'espèces sont dépendantes d'une mosa{que d'habitats. Ils en utilisent diverses composantes à différents moment de la journée et ont des besoins variés au cours de la saison en fonction de leur cycle de développement.
Sachant que ce cycle est annuel, il importe d'identifier les périodes où les pratiques de gestion auront le moins d'impact négatif et s'assurer qu'une part seulement (10 - 50%) d'une population sera affectée au cours de l'année.
Enfin, insistons sur le fait que les papillons sont très rapidement affectés par une gestion inadéquate.

Localisation des papillons en fonction de la hauteur du tapis herbacé
(d'après N.C.C. 1986. The management 01 chalk grassland for butterflies)


 

Les modalités de gestion

Le pâturage, mode de gestion traditionnel qui a permis le maintien des pelouses calcicoles, est incontestablement l'option favorite des entomologistes anglais. Mais une mauvaise gestion par le pâturage, même appliquée pendant une courte période, peut anéantir une population de papillons et les chances de recolonisation naturelle sont minimes, compte tenu de la taille et de l'isolement des sites.

L'option préférée est un pâturage tournant d'hiver complété si nécessaire par un pâturage estival léger pendant une période aussi courte que possible. Alternativement, un pâturage permanent avec une faible densité d'animaux donne aussi de bons résultats, à condition d'éviter le surpâturage.
Le fauchage est perçu par les entomologistes britanniques comme une technique de substitution d'intérêt limité.

En effet, il s'agit d'une opération de "tout ou rien" brutale. Les papillons, et beaucoup d'autres insectes, ne peuvent pas s'accomoder de la transformation d'un habitat très structuré verticalement à un nouvel environnement beaucoup plus simplifié.
Mais parfois le fauchage est la seule option réalisable par le gestionnaire. Dans ce cas, il faut limiter les interventions à la fin de l'automne ou au' début du printemps. On procédera à un fauchage tournant sur 3 ou 4 ans qui n'affectera qu'une fraction de la superficie en pelouse au cours d'une même année.

Le fauchage peut également étre pratiqué en corridor, à travers des surfaces d'herbe haute, sur les bordures d'un chemin par exemple, en fauchant alternativement, une année sur deux, l'un et l'autre côté.
Enfin et pour mémoire, on rappellera qu'une gestion des pelouses par les feux est déconseillée, car hautement dommageable pour de nombreux groupes d'invertébrés.