3.4 - Le pâturage

 

Lorsqu'on a en projet de faire pâturer des pelouses, la solution la plus alléchante consiste à rechercher dans les environs un éleveur de mouton susceptible de conduire son troupeau sur vos terrains, quand vous le souhaitez et selon un cahier des charges que vous aurez établi. Mais l'expérience prouve que ce cas de figure idéal est rare. Mettez-vous à la place d'un agriculteur qui possède des animaux de race améliorée et qui a déjà mis au point son "itinéraire technique". Son objectif est de voir ses moutons prendre de la valeur et donc régulièrement du poids. Il est probable que même s'il vous donne son accord de pnnclpe, parce qu'il trouve votre projet sympathique, il ne consentira à déplacer ses moutons sur votre pelouse que lorsque cela l'arrangera vraiment (pour différentes raisons qui lui sont personnelles), et non quand l'herbe, déjà naturellement peu appétante, sera devenue toute jaune et sèche.

Dans ces conditions, le gestionnaire n'a plus qu'à s'instituer lui-même éleveur de moutons, ce qui nécessite l'acquisition d'un minimum de matériel et de compétences, étant entendu que les principaux choix stratégiques sont déjà arrêtés dans le plan de gestion de la réserve.
De nombreux éléments de réflexion et conseils pratiques sont présentés dans l'excellent cahier technique rêdigé par C. Le NEVEU et T. LECOMTE : "La gestion des zones humides par le pâturage extensif", publié par l'ATEN en 1990. La lecture attentive de cet ouvrage incontournable s'impose évidemment au gestionnaire d'espace protêgé.

Voici nêanmoins,à titre informatif, un rapide pense-bête, non exhaustif, des contraintes à prendre en compte :

- choix stratégiques :

  • composition du troupeau :
    espèces (moutons, bien sûr, mais peut-être aussi, chèvres, vaches, chevaux, ânes...),
    races,
    nombre de brebis,
    origine du bélier.
  • pâturage de restauration ou d'entretien, chargement: pâturage intensif, semiintensif, extensif.
  • fréquence d'intervention.
  • période d'intervention.
  • conduite du troupeau par berger et chiens ou parcs (fixes ou mobiles).
  • ...

- équipement :

  • camionnette et 1 ou bétaillère pour les déplacements.
  • claies pour les reprises.
  • clôtures fixes et 1 ou mobiles.
  • abreuvoirs (bidons, tonne à eau).
  • ...

- suivi de l' "outil" de gestion moutons :

  • deux ou trois saisies au cours de l'année pour vérifier :
    -l'état des sabots et les tailler,
    -l'état de la laine et traiter le cas échéant contre les parasites,
    -l'état de la dentition et des naseaux.
  • deux ou trois études coprologiques.
  • traitements contre les parasites internes.
  • apport de sels minéraux sous forme de pierres à sel, de composition variable selon que les brebis sont gestantes ou non.
  • avant l'agnelage, administration d'oligoéléments aux mères.
  • pendant l'agnelage, surveillance accrue des brebis, mais, en principe, pas d'assistance nécessaire pour les races rustiques,
  • souvent prise en charge d'un agneau dans le cas de naissance de jumeaux.
  • après la période d'accouplements, isoler le bélier pour éviter les naissances non programmées et étalées au cours de l'année.
  • dans le cas d'animaux inscrits au flockbook :
    - marquage des agneaux à la naissance,
    - contrôle de la croissance des agneaux tous les mois jusqu'au sevrage complet (4 mois), et suivi de la conformation des mères.
  • assurer un apport permanent d'eau (problèmes d'eau gelée en hiver et de consommation importante en été).
  • tonte des moutons en mai-juin.
  • assurance responsabilité civile, contre le vol et la prédation dûe aux chiens errants.
  • éventuellement, complémentation de la nourriture en hiver, surtout en cas d'agnelage à cette époque de l'année.
  • ...

Dans tous les cas, n'hésitez pas à prendre conseil auprès des agriculteurs du voisinage et du conseiller "ovins" de la Chambre d'Agriculture de votre département.
Vous pouvez également prendre contact avec :

"L'Alliance Pastorale",
syndicat interrégional d'élevage
Route de Chauvigny
86 500 MONTMORILLON
tél. : 49.91.10.66

Ce syndicat regroupe de nombreux éleveurs ovins, caprins et bovins dans une soixantaine de départements, qui bénéficient, moyennant une cotisation annuelle d'environ 100 francs :

- de l'envoi mensuel d'un bulletin de liaison,

- de conseils,

- de services divers,

- d'un laboratOire d'analyses et de contrôles,

- d'un groupement d'achat de produits et matériels variés.

Vous étes peut-être le gestionnaire d'une réserve isolée (géographiquement bien sûr, car pour le reste, il existe "Réserves Naturelles de France").
Si vous ne voulez pas, compte tenu de vos objectifs, ou ne pouvez pas faire pâturer votre troupeau toute l'année sur les pelouses, pour des raisons de qualité ou quantité d'herbe à certaines saisons, vous devrez trouver une solution pour faire hiverner ou estiver vos animaux.
Voici, à titre indicatif, celles qui ont été testées successivement ou simultanément par la RN de Grand-Pierre et Vitain :

A - parquer le troupeau sur une pelouse dans un enclos fixe et lui apporter du fourrage récolté sur la réserve ou acheté à l'extérieur,

B - le confier à un agriculteur qui les prendra en pension moyennant finances ou qui sera rémunéré en nature par prélèvement de tout ou partie des agneaux de l'année,

C - passer un contrat avec un propriétaire souhaitant entretenir ses herbages et qui acceptera un pâturage gratuit. Il vous faudra probablement continuer à assurer vous-même le suivi du troupeau et peut-être poser des clôtures (sauf cas particulier de site enclos, parc de château par exemple)

D - en fait, la meilleure solution est de pouvoir disposer d'un espace hébergeant des milieux variés, humides et secs. Vous pourrez y délimiter des unités de gestion hétérogènes combinant bois, pelouses, prairies ou marais.

Les animaux pourront ainsi choisir à tout moment leur nourriture en fonction de leurs besoins. Mais cette pratique peut induire certaines dérives (Cf. ci-dessous).

Les organismes gestionnaires d'un réseau de sites, Conservatoires Régionaux d'Espaces Naturels, Parcs, seront bien sûr avantagés car il leur sera possible de planifier assez facilement, sur l'ensemble de l'année, un pâturage tournant sur divers sites.

Pâturage extensif ou intensif ?

Sans doute intéressés par les résultats de la gestion des zones humides par un pâturage extensif de vaches et chevaux de races rustiques, vous serez sûrement tentés d'enclore une pelouse et d'y lâcher quelques moutons pour un pâturage extensif permanent.
Il importe cependant, d'avoir à l'esprit, qu'un coteau calcaire n'est pas l'homologue d'une prairie marécageuse, et qu'un troupeau de brebis n'a pas le même comportement ni les mêmes impacts qu'un groupe mixte de Highland Cattle et de chevaux Camargue.
Si, soucieux d'entretenir un espace de pelouses riches et hétérogènes, vous tentez l'expérience, il y a de fortes chances que vous observiez les résultats suivants :

- compte tenu du fait que vous aurez habilement choisi et modulé le chargement d'animaux en fonction de la pression de pâturage souhaitée, une part notable de la pelouse acquierra une structure verticale et horizontale correspondant à vos objectifs,

- mais certains secteurs ne seront pas, ou presque pas pâturés,

- d'autres secteurs seront, au contraire, pâturés intensivement,

- certains types de milieux, particulièrement "privilégiés" par les moutons seront très piétinés et couverts de déjections.

En fait, au bout de quelques années, vous aurez sûrement gagné quelques espèces nitrophiles banales et probablement perdu des espèces remarquables de corniches ou replats.
Le bilan en terme de richesse floristique et faunistique sera peut être positif, mais le bilan en richesse patrimoniale risque d'être négatif.

N'ayez surtout pas la naïveté de croire, comme certains visiteurs, que les moutons broutent sagement les vilaines graminées étouffantes et respectent les gentilles orchidées et autres espèces protégées. Il faut avoir à l'esprit que c'est le stade post-pastoral qui présente la plus grande richesse biologique et non pas le stade de pâturage proprement dit.

Par ailleurs, il n'y a pas d'exemple, dans le passé ou le présent, de pâturage extensif permanent d'ovins réalisés sur de grandes étendues de pelouses calcicoles et dont les impacts sur la faune et la flore auraient été évalués scientifiquement.
C'est pourquoi, au lieu du traditionnel pâturage d'entretien, souvent extensif (mais parfois intensif), tournant, s'appliquant pendant une saison sur des grandes étendues chaque année et qui nécessite la présence et la science d'un berger et de chiens, on recommandera plutôt un pâturage de restauration, intensif et tournant, mais s'appliquant pendant une très courte période sur de faibles surfaces tous les quatre ans ou plus, et qui se pratique à l'aide d'enclos mobiles.

C'est l'une des méthodes retenues et appliquées dans la réserve naturelle de GrandPierre et Vitain, depuis 1985, sur des pelouses du Teucrio-Mesobromenion. Une vingtaine de brebis de race rustique solognote pâturent, durant une huitaine de jours, un parc mobile d'une surface de 500 à 1000 m2 environ, que l'on déplace de proche en proche pendant la période de végétation (de fin mars à juillet, voire octobre, lorsque l'été est pluvieux).
Les résultats obtenus sont satisfaisants :

  • les graminées soeiales (Brome et Brachypode) régressent, ou au moins sont stabilisées,
  • il n'y a pas de dévetoppement de plantes nitrophiles. Cependant, certaines espèces refusées par les moutons ont une forte expansion (Hypericum perforatum, Euphorbia cyparissias),
  • le pâturage poursuivi jusqu'à obtention d'un tapis végétal ras et ouvert permet, au cours des années ultérieures, la germination d'espèces annuelles rares des pelouses pionnières (Bombycilaena eracta, Bupleurum baldense, ... )
  • les perturbations oecasionnées à l'entomofaune par le pâturage sont très limitées dans l'espace et dans le temps.