3.1 - La gestion traditionnelle des pelouses
extraits de J, DUVIGNEAUD 1983 a
"Les pelouses calcaires de nos regions n'ont généralement pas une origine naturelle : la plupart d'entre elles dérivent d'une forêt primitive qui fut détruite par les pratiques agro-pastorales (défrichement, brûlis, culture, pâturage, etc,). Leur rôle était essentiel : elles permettaient de nourrir les troupeaux de moutons et de chèvres. Elles étaient soigneusement gérées, il la fois par le pâturage et pour le pâturage, La figure (page suivante) met en évidence les relations entre les pelouses calcaires et cette trinité, cet ensemble indissociable constitué par le berger, les moutons et les quelques chèvres qui accompagnaient habituellement le troupeau. L'influence du berger était capitale, n était souvent le détenteur d'un héritage de traditions et d'expérience. Être berger était un métier qui exigeait un long apprentissage et une connaissance poussée de la nature et de la région.
a) Par son action, le berger limitait la réinstallation des arbustes et la formation des fourrés. Il coupait les troncs; il recépait également les rejets de souches (notamment en utilisant le fer de la houlette). Mais les chèvres accompagnatrices du troupeau jouaient un rôle tout aussi déterminant ; elles broutaient presque uniquement ]es arbustes et, dans une certaine mesure, par leur exemple, elles encourageaient les moutons à adopter leurs préférences alimentaires pour les jeunes rameaux et les feuilles. Bien qu'à vocation forestière, les pelouses ont pu de cette manière rester longtemps des formations herbacées.
b) L'alimentation des moutons est nettement orientée vers les herbes jeunes et tendres. De là leur habitude de brouter dans les pelouses rases ou même surpâturées où les graminées, cisaillées au ras du sol, présentent des repousses récentes. De là vient aussi leur refus de se nourrir d'herbes vieillies et durcies, comme c'est le cas, par exemple, dans les pelouses constituées de graminées sociales (Brachypodium pinnarum, Seslcria caerulea, Bromus erectus et Festuca lemanii). De vastes pelouses à herbes denses et hautes ne constituent donc pas pour les ovins une nourriture de qualité ; ce type de pâturage est généralement refusé. On peut dire que le mouton broute ce qu'il a déjà brouté et qu'il ne broutera pas ce qu'il n'ajamais brouté. (voir commentaires*)
c) Le berger avait mis au point une méthode de rénovation de ces herbages vieillis : c'était le feu courant. Allumé généralement en fin d'hiver, le feu courant détruisait le tapis herbacé constitué par les herbes séchées qui avaient passé la mauvaise saison. Il fallait l'allumer quand il y avait suffisamment de vent ; il se déplaçait ainsi rapidement au-dessus du sol, comme un mur de flammes et de fumées, et ne détmisait pas les jeunes pousses herbacées plus ou moins protégées par les feuilles séchées ou situées dans les horizons les plus superficiels du sol. Un vent inexistant ou faible n'aurait évidemment pas convenu, car le feu aurait atteint ainsi et brûlé davantage les pousses superficielles. Un vent trop violent devait également être évité, car il ne s'agissait pas d'incendier les forêts voisines. Il fallait aussi ne pas l'allumer trop tard dans la saison, de façon à ne pas nuire à la croissance de l'herbe. Les cendres provoquaient une fertilisation du sol susceptible de déclencher au printemps, après les premières pluies, la repousse rapide d'une herbe jeune et tendre qui servait de nourriture au troupeau, pendant les mois d'été. Soulignons aussi que ce feu courant favorisait la régression des fourrés arbustifs présents dans les pelouses.
d) Les friches (c'est-à-dire, les cultures abandonnées) étaient, elles aussi, soumises au pâturage. Sous l'action du passage des troupeaux (pâturage et piétinement), elles évoluaient assez rapidement vers le stade pelouse, par l'envahissement des graminées sociales, qui sont des plantes particulièrement aptes à résister au cisaillement et au piétinement. Beaucoup de nos pelouses calcaires, SUitout en bas de versant et sur des pentes faibles, proviennent d'anciennes friches.
e) Dans la gestion ancienne des pelouses, les moutons étaient rassemblés la nuit dans un enclos de faible superficie, limité par des barrières: c'est le parc à moutons. L'appon important de déjections, souvent sou ligné par la propagation de plantes nitrophiles (par exemple, Cynoglossum officinale, Cirsium eriophorum, Carduus nutans, etc.), permettait alors de convertir temporairement ces parcelles en cultures céréalières." (voir commentaires**)